17 Juillet 2023

MIRI ouvre une porte sur un autre chemin pour la chimie organique

C’est une petite molécule qui vient d’être identifiée dans le disque protoplanétaire d’une jeune étoile de la nébuleuse d’Orion. CH3+ ne paie pas de mine avec son unique carbone et ses trois hydrogènes mais elle a longtemps été considérée comme une brique élémentaire pour former les longues chaines carbonées nécessaires à la vie. Sa découverte est le fruit de six mois d’analyses et de comparaisons par une équipe soutenue par le CNES et travaillant sur les données du spectromètre MIRI embarqué sur le télescope James Webb (JWST). Les résultats, publiés le 26 juin dans la revue Nature, apportent de nouveaux éléments sur la façon dont la vie pourrait émerger.

Un trio gagnant

Une découverte peut se faire fortuitement mais elle est généralement portée par un contexte favorable. Dès les années 1970, une théorie présentait CH3+ comme l’une des meilleures candidates pour envisager la formation de molécules organiques plus complexes. « On l’a cherché jusque dans les années 2000 mais sans jamais la repérer », explique Olivier Berné, astrophysicien à l’Institut de recherches en astrophysique et planétologie de Toulouse (IRAP) et principal auteur de la publication.

Les recherches étaient vaines car aucun instrument n’était capable de déceler le signal de CH3+. Il a fallu attendre le lancement de JWST, fin 2021, et les performances de son spectromètre MIRI pour y parvenir. L’une des missions que l’équipe de l’IRAP s’est fixée est précisément l’identification de nouvelles molécules et les chercheurs s’y préparent depuis dix ans. Des scientifiques aux aguets, un instrument particulièrement sensible, il ne manquait plus qu’une once de hasard.

  

Légende : Etude de la nébuleuse d'Orion par Webb - Crédits : ESA/Webb, NASA, CSA, M. Zamani (ESA/Webb), Equipe PDRs4All ERS

  

Légende : Nébuleuse d’Orion avec un zoom sur l’étoile d203-506 dont le disque protoplanétaire contient du CH3+, une molécule gazeuse potentiellement initiatrice d’une chimie organique - Crédits : ESA/Webb, NASA, CSA, M. Zamani (ESA/Webb), Equipe PDRs4All ERS 

     

Le hasard veut que l’étoile observée par MIRI se situe à proximité du Trapèze, un amas d’étoiles trente fois plus lourd que le Soleil. Les radiations qu’il dégage agitent les molécules de CH3+ ce qui rend leur signal plus facilement détectable dans l’infrarouge. En analysant l’ensemble des rayonnements infrarouges reçus par MIRI, l’équipe d’Olivier Berné y a repéré ce signal, un inconnu dans les signatures spectrales.

   

Le jeu des erreurs

Une signature spectrale se présente sous la forme de raies d’émission spécifiques à une molécule. Elle résulte des mouvements au sein de la molécule, tels que des rotations ou des vibrations des atomes. Les signatures spectrales des molécules déjà identifiées dans le milieu interstellaire sont recensées dans un catalogue standard. A la manière du jeu des erreurs, une équipe internationale impliquant l’IRAP a comparé ce catalogue avec les raies d’émission recueillies par MIRI. Une « signature non identifiée » était facilement repérable dans ce jeu d’enfant.

C’est une combinaison d’éléments qui a mis les chercheurs sur la piste du CH3+ : d’abord la forme du spectre indiquait qu’il s’agissait d’une molécule légère et simple ; deuxièmement, elle était nécessairement composée de carbone, d’hydrogène ou d’oxygène, à l’instar des autres molécules simples identifiées via le catalogue standard ; enfin, des modèles astrophysiques permettent de prévoir les gaz susceptibles de se former dans les conditions physico-chimiques du disque protoplanétaire (température, intensité des UV, densité, etc.) ;  « Nous avons testé plusieurs de ces gaz tels que CH3 , H2O+ mais CH3+ était celui qui correspondait le mieux. Grâce à des mesures en laboratoire et des calculs de chimie quantique, des collègues physiciens nous ont simulé la signature spectrale du CH3+. Celle-ci s’appareillait parfaitement au signal inconnu du disque protoplanétaire ».

      

CH3+, nouveau précurseur de la chimie organique

Outre l’identification d’une nouvelle molécule dans le milieu interstellaire, la découverte de CH3+ force les scientifiques à reconsidérer leur vision de la chimie organique. Jusqu’à présent, on privilégiait le modèle de catalyses dans lequel les molécules organiques se forment par accumulation autour d’un noyau solide. Typiquement, il peut s’agir d’une poussière en rotation autour de l’étoile sur laquelle s’agrègent les molécules carbonées. 

Découvrir CH3+, une molécule gazeuse, incite les chercheurs à penser qu’il a certainement un autre chemin pour synthétiser des molécules organiques complexes. En effet, ce gaz a une forte capacité à réagir avec les autres molécules carbonées qui sont à la base de la chimie organique. Cette propriété fait du CH3+ la pierre angulaire de cette chimie selon les théories des années 1970.

   

Aujourd’hui, la tendance n’est plus de privilégier un mais plusieurs chemins pour envisager l’émergence de la chimie organique et, in fine, de la vie. En attendant que MIRI nous offre une nouvelle moisson d’informations provenant de la nébuleuse d’Orion, ces questions restent ouvertes. Pour Desi Raulin, cheffe de projet contribution française MIRI/JWST, c’est ce qui rend cette découverte exceptionnelle : 

Depuis Noël 2021, MIRI nous livre des images magnifiques qui s’accompagnent régulièrement de découvertes importantes mais l’identification de cette petite molécule nous relie à une théorie énoncée il y a presque un demi-siècle. 

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Desi RAULIN, cheffe de projet contribution française MIRI/JWST 
- Crédits : CNES